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Coups de gueule

Les Roms dans le rôle éternel du bouc emissaire

A l’approche de élections municipales et européennes, la sphère politique suivie à la trace par les médias, a trouvé un bon paratonnerre pour canaliser les frustrations populaires et les impuissances politiques face à une situation économique et sociale qui ne cesse d’empirer. Aujourd’hui les Roms réunissent tous les critères pour devenir un nouvel bouc émissaire 1 et sont accusés de tous les maux. Leurs souffrances sont invisibles aux yeux de la population qui passent devant leurs campements de fortune avec l’indifférence de la banalisation. Les Roms n’occupent l’espace médiatique qu’en tant qu’instruments de carrières politiques de gauche ou de droite ou incarnent le rejet primaire des populations face à l’étranger, voleur et malodorant de surcroit. Longtemps, j’ai vécu à côté d’un campement de Roms à Montreuil sans constater de mendicité agressive ou d’augmentation notable des vols. En revanche, j’ai éprouvé un malaise face à ma propre impuissance et aux réactions, majoritairement négatives du voisinage. En bref, « Qu’on les chasse n’importe ou, je ne veux plus les voir devant mes fenêtres« . Ne soyons pas naïf, des problèmes de travail, relogement, scolarisation, prise en charge globale de ces populations démunies existent mais qui peut croire que 20.000 Roms en errance sont un problème majeur dans une France de 66 millions d’habitants ?

Aujourd’hui comme hier, après les juifs, tsiganes, homosexuels et plus généralement les immigrés, les Rom’s migrants assument aujourd’hui, bien malgré eux, ce rôle de défouloir de nos sociétés.

Une Union Européenne sans influence

La France n’est pas seule en cause dans ce déni humanitaire. L’Europe la montre aujourd’hui du doigt, par la voix de Viviane Redding, chargée de la justice à la commission européenne,  « La France ne met pas en oeuvre son plan d’intégration des Roms conclu avec l’Union Européenne « . Mais l’UE ne devrait-elle pas  balayer devant sa porte ?   Cette position est incohérente avec le fait que l’UE a attribué 17,5 milliards d’euros en 6 ans aux Etats européens, pour l’insertion « des Roms et autres populations vulnérables », aux pays concernés avec des résultats très mitigés. Ainsi, la Roumanie n’a utilisé que 6% des fonds alloués soit 36 millions d’euros entre 207 et 2013 sur les 2,2 milliards d’euros attribués par l’UE, pour prendre en charge l’intégration de ses 2 millions de Roms. Cela suppose une dilapidation des aides par la bureaucratie locale et surtout, une absence de contrôle et de sanctions par l’UE sur l’utilisation de ces fonds par des pays qui mettent à l’écart leur propre ressortissants.

D’autre part, l’initiative Décennie de l’intégration tzigane par neuf pays d’Europe centrale et orientale afin améliorer le statut socio-économique des populations Rom semble émarger au rang du simple affichage de bonnes intentions au vu des résultats obtenus à ce jour.

L’avis d’Amnesty International sur la question des Roms est à lire attentivement, qui décrit avec précision l’origine et la situation des Roms migrants, en cause aujourd’hui dans le tumulte médiatique. Cette note rappelle notamment  que le droit international signé par la France lui impose de:

  • de garantir le droit de tous à un logement convenable
  • de ne pas procéder à des expulsions de campement illicite, tant qu’une ou plusieurs propositions d’installation sur un terrain licite n’ont été faites, après consultation de l’ensemble des occupants concernés .

Manuel Valls affirme que les Roms ont vocation à retourner dans leurs pays mais les règles communautaires imposent à la France au 1er Janvier 2014 d’ouvrir son marché du travail aux Roumains et aux bulgares. Une situation qui n’est pas près de se réaliser puisqu’il faut une décision commune de 27 pays d’Europe pour qu’elle s’applique et la France est très fortement défavorable à l’application de cette directive. Ecouter l’interview de Viviane Redding sur France Info du 25 septembre,  » L’argent n’arrive pas ou il devrait arriver dans les communes ».

L’arbre qui cache la forêt

Désigner un bouc émissaire à la fâcheuse conséquence d’exonérer d’autres coupables de maux autrement plus dommageables pour nos sociétés. Mais les images fortes de campements insalubres ont l’avantage d’offrir une vison simple et cathartique aux populations malmenées par la crise. Pendant que des politiques et commentateurs s’écharpent autour de la présence de quelques dizaines milliers de Roms en France, la spéculation financière continue à piller les Etats sans contrôle, à commencer par Goldman Sachs. Charge aux contribuables ensuite d’éponger d’énormes dettes qui ne leur incombent pas. Je me méfie du détournement de l’attention des citoyens vers des problèmes mineurs comme celui des Roms alors que la spéculation, l’évasion et l’optimisation fiscale ravagent nos sociétés au point de marginaliser l’action des politiques.

Note:

 1. Pour reprendre René Girard,« un bouc émissaire est une personne sur laquelle on fait retomber les torts des autres. Le bouc est un individu innocent sur lequel va s’acharner un groupe social pour s’exonérer de sa propre faute ou masquer son échec. Souvent faible ou dans l’incapacité de se rebeller, la victime endosse sans protester la responsabilité collective qu’on lui impute »

> Pour savoir exactement, qui sont les Roms et la délinquance supposée qu’on leur attribue, lire ce billet détaillé de Maitre Eolas

À propos de Serge Escalé

Rédacteur. En veille sur l'économie, le social, l'usage et implications des technologies, le numérique.

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