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Economie

Faire passer les multinationales et GAFAM à la caisse, l’impossible course d’obstacles

Alors que 80% de l’économie en France est impactée par le déploiement très rapide du numérique, des centaines de millions d’euros de ressources fiscales disparaissent dans les paradis fiscaux.

Selon Les Echos, le CA cumulé réel de ces entreprises en France franchirait les 8 milliards, ce qui les aurait contraint à verser plus de 800 millions d’euros à l’Etat au titre de l’IS. Mais les sommes dissimulées au fisc sont bien plus importantes. Pour en savoir plus sur ces montages d’optimisation fiscale, hélas légaux, voir ici  ou en page 21 du Rapport_Collin/Colin sur la fiscalité de l’économie numérique auquel je fais référence dans ce billet. Les auteurs se proposent de taxer l’utilisation des données personnelles, une idée novatrice mais totalement inapplicable quand on sait que les Etats ne parviennent déjà pas à taxer une matière fiscale identifiable: les factures réglées par les régies publicitaires ou acheteurs d’informations personnelles regroupées en canaux à Google, Twitter  ou Facebook.

Nous avons eu l’occasion de traiter ce thème de l’évasion fiscale des multinationales du numérique ici.

Taxer_Google

Face à la désindustrialisation et à la crise économique,  il faut s’adapter d’urgence à une nouvelle donne. Cette nécessité n’a rien à voir avec le dictat néo-libéral du début des années 80 qui intimait l’ordre d’adopter les mesures classique du libéralisme: rôle de l’Etat réduit à sa plus simple expression, limitation des salaires, suppression des barrières à la libre circulation des capitaux, imposition faible des entreprises, etc.  Il s’agit ici d’anticiper les effets délétères du numérique dans l’ancien monde industriel. Le rapport de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique de Pierre Collin, conseiller d’Etat et Nicolas Colin, inspecteur des finances, sorti mi-janvier 2013, a au moins le mérite de poser les problèmes et formuler des propositions toutefois impraticables. Il montre ainsi que 60% des secteurs d’activité ont dégagé des gains de productivité grâce au numérique.

80 % des secteurs d'activité sont impactés par Internet et le numérique

80 % des secteurs d’activité sont impactés par Internet et le numérique (Source: rapport mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique)

 

Parmi les suggestions du rapport Collin et Colin, la plus novatrice consiste à taxer les données personnelles et non-personnelles fournies gratuitement par les internautes et usagers de services en ligne. L’exemple le plus emblématique est celui de Facebook qui collecte massivement les fils de discussion des abonnés, photos et autres. Or, les bénéfices de ces sociétés sont de plus en plus conséquents tout en payant de très faibles impôts par rapport aux entreprises françaises.

Face à cette évaporation fiscale, les Etats font face à un double choix:

  1. lls redéfinissent la notion d’établissement stable identifié comme lieu et pays d’imposition. L’URL du site, peut servir de base d’ancrage pour une nouvelle fiscalité (voir les remarques sur le rapport Collin/Colin sur ce billet très intéressant et argumenté de Christian Fauré, administrateur de l’IRI et professeur à l’UTC Compiègne). Reste à adjoindre à cette notion d’URL, d’autres preuves fiscales de l’activité effective des multinationales qui ne manqueront pas de les contester vivement. Deux obstacles majeurs se dressent alors. D’une part, la position de la communauté européenne qui doit faire face à l’intransigeance de l’Irlande, Luxembourg et de la Hollande, pays pratiquant le dumping fiscal. D’autre part, reste à faire décrocher les multinationales de leur addiction aux douceurs des paradis fiscaux. L’UE en a pourtant établi une liste précise mais les sanctions n’ont jamais été appliquées. Dans ce domaine, le rapport de force ne joue pas en faveur des Etats. La solution n’est pas, une fois de plus, franco-française.
  2. Ils trouvent de nouvelles ressources de taxation, en rupture complète avec la fiscalité traditionnelle. C’est la piste proposée dans le rapport  Collin/Colin qui envisage la prise en compte des données personnelles des internautes ( discussions, photos, vidéos) comme base d’imposition. Les startup’s trop fragiles dans les 2 à 3 premières années seraient exemptées de cette taxe sur les données. On imagine mal aujourd’hui Google, Facebook ou Amazon, passer à la caisse au motif qu’ils profitent des contributions gratuites des internautes. Avant de mettre en place cette proposition qui a tout d’une « usine à gaz », il faudrait d’abord taxer Google ou Facebook sur une ressource parfaitement identifiable, les recettes de la vente des mots-clés Adwords de Google ou la publicité de Facebook, impôts et taxes dont ils ne s’acquittent qu’au compte-gouttes. Pour cela, pourquoi ne pas taxer le chiffre d’affaires, localisé en France et non les bénéfices, expatriés dans les paradis fiscaux ?

Dans cette présentation de Michel Calmejane (Colt), un éclairage sur les enjeux de de la fiscalité et de l’économie numérique. Calmejane y développe, entre autres, la notion « d’Or noir » associée à la valeur marchande considérable des données personnelles. Cette notion a sans doute été diffusée sans précautions car s’il existe bien aujourd’hui un marché sur l’exploitation des données personnelles et impersonnelles, tout reste a faire pour les identifier clairement et de manière efficace.

Dans le rapport Collin/Colin, les auteurs proposent la mise en oeuvre de 3 pistes:

1) Pouvoir imposer les bénéfices réalisés sur le territoire par les multinationales. Le combat est loin d’être gagné.

2) Collecter les données personnelles issues du suivi régulier et systématique de l’activité des utilisateurs en vue de leur taxation par le fisc français. Pour cela, l’administration fiscale et les vérificateurs devraient appréhender la nouvelle donne de l’économie numérique. On peut légitimement douter de son efficacité.

3) Créer un environnement fiscal favorable en réformant la fiscalité de la R & D. Le crédit impôt-recherche serait fusionné avec le statut de jeune entreprise innovante. 

Mise à jour 29 mars 2021

8 ans après mon billet , je constate que rien n’a changé. Le rapport Colin-Collin auquel je n’ai jamais cru est une usine à gaz inapplicable fiscalement. Sur le papier, il est parfaitement possible de taxer non seulement les géants du web mais aussi les multinationales, sans même évoquer la notion d’utilisation des données personnelles. Deux obstacles principaux et pas des moindres, se présentent toujours comme en 2013:

  1. La présence de paradis fiscaux au sein de l’Europe et désormais dans la sphère britannique post-Brexit ( Irlande Pays-bas, Luxembourg, ile de Jersey) et dans le monde qui occultent les bénéfices réels des multinationales et GAFAM. 
  2. La puissance des Etats-Unis face à l’Europe, un nain politique désuni. Face au projet français de taxer de 5% le CA des entreprises, Washington a pris des mesures douanières à l’encontre de la France et nul doute qu’il en soit de même  pour des mesures européennes qui ne feront jamais l’unanimité parmi  les 27 à cause du point N°1. Le serpent se mord la queue.

En savoir plus:

  • Taxe Google : de la difficulté d’appliquer une taxation supplémentaire. Voir Ici
  • Un rapport parlementaire britannique qui appelle le gouvernement  à «prendre un rôle leader dans la modernisation de fiscalité internationale », tout particulièrement pour éviter l’évasion fiscale. ( 17/06/2013)
  • Dans ce papier du Monde, les techniques utilisées pour l’optimisation fiscale, autre nom de l’évasion fiscale.
  • Le versement de 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts à l’Irlande retoqué par le Tribunal de l’UE ( juillet 2020) 

À propos de Serge Escalé

Rédacteur. En veille sur l'économie, le social, l'usage et implications des technologies, le numérique.

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